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M.E.R.E | Julien Boutonnier

Un très gros projet, plein de trucs compliqués à gérer, vectoriser les pages pour conserver une mise en page parfaite mais tout en devant l’adapter au format du livre qui n’est pas celui du tapuscrit, anticiper ce que va être le livre numérique pour mettre en place un process qui ne me fasse pas perdre trop de temps, corriger, recaler, rerecaler, bref, un énorme chantier super intense.

Création de la couverture du livre | Mise en page du livre papier | Fabrication du livre numérique

Guillaume Vissac écrit : M.E.R.E est un texte pluriel, rare, qui s’est construit dans l’acte fondateur du deuil. Le deuil dans l’écriture. Dans son journal, dont l’un des fragments est repris pour l’un des carnets de la version numérique, Julien Boutonnier écrit : La mort de ma mère fut oui un père pour moi. Il ne s’agit pas du point de départ d’un processus d’écriture qui durerait depuis mais de la matière même d’une langue saillante, truffée d’effets d’échos et de résonances sonores, qui s’invente autant dans la douleur, dans la difficulté, que dans l’impossibilité, parfois, d’émettre (c’est-à-dire concrètement d’articuler les syllabes, qui semblent devoir reprendre ici leur indépendance, leur singularité, et renouer avec l’origine de leur son). La matière d’une langue qui me loge, écrit-il. Ultime geste d’écriture, il y a peu : Julien Boutonnier est allé jusqu’à se faire tatouer les lettres figurant dans le livre et servant de repère aux balises. Une lecture à vif, c’est bien de cela qu’il s’agit. Et nul doute qu’elle vous marquera tout autant à présent que le livre s’offre à d’autres, qu’une nouvelle vie commence pour lui.

on est foutu, quelqu’un a dit

la main a remué : nos cendres

des fleurs ont été là

La remémoration que Julien Boutonnier conduit dans M.E.R.E. construit coûte que coûte le récit impossible de la perte. À partir du trauma puis d’un rêve, l’édifice d’une narration s’élève peu à peu, serait-ce depuis sa fragilité. Chaque mot sur la page est potentiellement joint et disjoint pour chercher un sens nouveau, un signe, une langue qui donnerait à entendre ce qui depuis le début reste indicible : l’effacement, l’œuvre de mort. Dans ce travail, la lettre est envisagée comme une balise à laquelle pourraient s’arrimer les morceaux d’un langage disloqué. La spatialisation, le ressassement, la langue tout entière manipulée avec un tel entêtement et une telle précision donnent au texte une ampleur considérable et produisent une œuvre poétique bouleversante.

M.E.R.E se décline en trois versions différentes et complémentaires : une version spatialisée au format papier, une version en prose au format numérique, enrichie de photographies, de montages audio, de citations et d’extraits du journal de l’auteur, et enfin, une version performée proposée sur le site http://balises.net.

Ce texte est le deuxième ouvrage d’une trilogie commencée avec Ma mère est lamentable, également disponible aux éditions Publie.net.

À terme, je voudrais proposer une expérience de lecture qui soit une sorte d’errance sous hypnose. La multiplication, dans chaque balise (12 chaque fois (les quatre lettres de l’acronyme M.E.R.E et les huit chiffres de la date du non-événement de la mort de ma mère 06 04 1991), des liens renvoyant à d’autres balises, invitera le lecteur à passer d’un texte à l’autre, sans nécessairement tout lire d’ailleurs, je voudrais même qu’il ne lise pas tout. Dans ces passages répétés d’un poème à l’autre, j’espère que le lecteur se perdra, perdra le fil de ce qu’il lit (ce qui devrait être facilité par la redondance des poèmes et leur obscurité (je veux dire que ces poèmes sont conçus plus comme des nœuds que comme des messages), entrera dans un état hypnotique, errant d’une balise à l’autre, comme dans un rêve, sans plus savoir ce qu’il fait. Ce serait ça, la traversée du territoire du vide, le partage d’une sidération, d’une non-mémoire, d’un creux, d’une absence, au-delà du sens des mots, lesquels se réduiraient, en quelque sorte, à l’espace physique qu’ils occupent sur l’écran, à leur matérialité vibrante, à leur présence.

Journal de l’auteur – vendredi 24 mai 2013