Alors on avait voulu rouler sur les routes de l’Europe. Quitter nos cabanes — nos baraques et nos territoires. Toutes ces histoires d’ours — de mecs qui prennent la route la nuit dans la neige — toutes ces histoires de poussière de poème d’eau-de-vie et de feu qu’on allume — c’était quoi alors ?
Notre Est lointain, Sébastien Ménard
On est partis au Sud, on est partis au Nord, désormais cap à l’Est moussaillon ! Au menu des réjouissances : Italie, Slovénie, Croatie, Bosnie-Herzégovine. Chauffe Marcel-Caracole, c’est nous que v’là repartis pour un tour. Alors, alors, allora, d’abord, l’Italie du nord.
Les routes ça tortillonne, ça dénivèle puissance max dans les montées, dès le premier jour j’sais pas conduire. On s’aperçoit vite que les Italiens scalpent leurs montagnes, ça mine ça carrière ça marbre pis c’est déjà l’accent qui roule et qui chante, les pastas fraîches, le pélerinage à Genova, la bière au basilic, les ciao les grazie et les gros cactus.
Et déjà, du beau, du surprenant lors de notre première randonnée, des canassons qui cavalent autour de nous, avec leurs gros cuisseaux et leurs veuchs dans l’vent, tels les Boys Band de la ritalitude équestre.
Et puis nous revoilà dans des fjords, ou quasi, au Lago di Garda, fief des riches et de la jet-set de ce coin-là, grosses baraques, grosses voitures, grosses montagnes / puis changement de décor / face à des lacs turquoise garantis pure eau de glacier sans additif ni colorant. On en prend plein les mirettes, surtout dans les Dolomites, avec des montagnes qui se découpent en ombres chinoises dans le ciel, terrain de jeu infini qui, même sous la drache, ne perd rien de sa beauté. On trace, on trace, grâce à Park4Night (article non sponsorisé mais pragmatique) on trouve des coins splendides pour se poser le soir, grâce à ViewRanger on se paume pas comme des zombies en cherchant des cairns dans la montagne — même si les cairns, je les aime d’amour, ces petites piles de caillasses qui font que tu ne te sens pas tout seul face à l’immensité —, et on aura beau dire mais parfois la technologie a du bon (ça fait pas très « retour à la nature » je suis d’accord, mais comme j’ai jamais réussi à replier une carte correctement, je valide ViewRanger, tant pis pour mes ancêtres qui se retournent dans leur tombe en lisant ça)(de toute façon ils n’ont pas le temps de lire, ils sont dans leur tombe, ils voient que dalle). Nous voilà dans le clan des travelers de la route — ils sont allemands principalement, ils ont tous le style (prononcer « staïle » comme en 1995) dans leurs vans Tranporter, tranquilles, paisibles, on se salue, on se sourit, on échange des Halo, des Doberdan, certains font du yoga, d’autres se suspendent à des arbres parce qu’ils ont des muscles, dans l’ensemble nous on pratique plutôt le combo Star Realms / bières de tous pays… Car bien sûr, on ne fait pas que lever notre viande jusqu’en haut des montagnes. Non mes bons messieurs. On glande / pardon : on chill, c’est plus classe / on bouquine à fond les ballons (toute la bibliothèque caracolienne y est passée grâce à mon compagnon de voyage qui est subitement devenu un grand lecteur), on perd un portable dans un canyon — dommage, on ne verra jamais les photos, c’était l’un des plus beaux qu’on ait jamais faits, arcades de pierre blanche polie, grottes qui s’enivrent d’eau limpide, des chaos / osselets des géants / — et même, dans ma grande sagesse, j’apprends à faire des huit et des rappels, et c’est déjà pas mal pour la flipette que j’suis. On établit des campements avec cordes et combis qui sèchent, parfois à côté de maisons abandonnées recouvertes par la forêt, avec des chouettes qui hululent dans la nuit comme dans un épisode Halloween des Simpsons. On vadrouille comme on sait bien faire, avec nos boucles de musique dans l’autoradio qui n’en fait qu’à sa tête et les trucs derrière qu’on a oublié de ranger et qui valdinguent au p’tit bonheur la chance.
Et puis sans crier gare, un coup de volant à droite et nous voilà en Slovénie, superbe et inconnue. Arpentée dès potron-minet par le Mangart, magnifique rando à la frontière — bon, la première fois qu’on a voulu le faire, une voiture était tombée dans le ravin… c’est vous dire s’il vaut mieux que je conduise pas —, un chemin italien (via ferrata facile), un chemin slovène (via ferrata plus difficile), un peu de monde, et puis soudain… Le sommet, le ballet des oiseaux dans les nuages, la paix, la quiétude… C’est pour ça, exactement pour ça, qu’on se hisse jusqu’au top, pour avoir le souffle coupé et pas que par le dénivelé :
Après cette mise en jambes, direction le plus haut sommet de Slovénie : le Triglav, avec dodo au refuge, via ferrata à tous les vents (parce que forcément on prend les chemins difficiles), caillasse, crapahutage vertigineux, larmes de sang côté Roxou (qui exagère mais pas tant parce que j’ai aucun courage quand il s’agit de faire confiance à mes pieds quand partout le vide est là)
Et ça continue, encore et encore.
On se fait un petit arrêt dans un camping à la ferme où l’on rencontre un couple de chouettes jeunes belges qui vadrouillent en stop, beaucoup de bières et de jeux de cartes au cœur d’une fireplace magique.
On avale du kilomètre au compteur, ici l’essence coûte nada (d’acc, je vous vois arriver, elle pollue quand même, certes), du coup bim bam boum, on arrive en Bosnie au festival Drill & Chill, a climbing and highlining festival. ALORS. Pour ceux qui comme moi ne savent pas faire de slack (sept pas étant mon maximum après 4h de tentative) ni d’escalade (les voies faciles de la salle de bloc de Toulouse étant mon seul horizon et encore, pendant pas très longtemps), le festival, en ce qui concerne ma popomme, était plutôt orienté CHILL que DRILL. Mais super ambiance dans ce petit festival de passionnés, beaucoup de nationalités réunies par des passions communes, d’un coup beaucoup de Français aussi, des gros feux tous les soirs, des apéros, des Bons matiiiiins qui résonnent grâce à notre Québécois-grimpeur attitré, une soirée d’anniversaire-crêpe, un drone qui se casse la gueule dans la pampa et qui est retrouvé grâce à une équipe de sauveteurs de choc, des lignes qui se percent, s’ouvrent, se jettent dans le vide, des workshops passionnants sur comment installer une highline alors que j’ai jamais foutu un pied dessus, un cadre verdoyant, bref : hormis ma propension à me sentir hors de cet univers de passionnés du vide, et… de yoga, ce furent quelques jours paisibles.
Route du retour, les vacances commencent à sentir la fin, nous v’là en Croatie, en pélerinage à un endroit où Repied, dans sa tendre et délurée jeunesse, a fait la grosse teuf : le Fort Punta Christo.
Y’a de la jeunesse, ça chill comme un après festival, au bord de la mer, hamacs, tentes, livres et réchauds, tranquillous sous l’ombre, face à la mer comme dirait Calogero (et que nous n’oublions pas, malgré tout). Faut pas trop regarder de ci de là, encore une fois l’être humain est dégueulasse et sème du plastique et du verre partout… Pour se remonter le moral, il y a une nude beach, mais lors de notre passage, c’était plutôt désertique… presque.
En Croatie, on est allés là où tout le monde est allé : Plivitce. Ma faute. LE truc touristique par excellence (des lacs, des cascades, mais ce qu’on oublie, ce sont les centaines de bus de touristes). Du coup, que dire ? N’y allez pas, il y a d’aussi belles choses à voir ailleurs, gratuites et sans files d’attente. Cela dit, mention spéciale à un groupe de darrons français hilarants (je les appelle « darrons » parce que c’est plus simple que de dire qu’ils étaient plus vieux que nous mais qu’on n’est plus si jeunes non plus) avec qui on a fait un trajet en bateau durant cette visite des lacs et qui furent mon rayon de soleil au milieu de la nuit touristique. Repied a même accepté d’y retourner, ce qui lui a permis de faire ceci :
Bien sûr, on ne peut pas tout dire, de ces p’tits barbeucs, de ces parties de dés et de cartes, de ces petites cahutes au bord de la route qui vendent du miel et des légumes, de ces baraques jamais finies de construire qui s’alignent au bord des routes, pleines de parpaings à vif, de notre naïveté à suivre Google Maps pendant 30 minutes pour atterrir à un poste-frontière réservé aux frontaliers (et de me dire : mais bon dieu, comme c’est stupide de devoir faire demi-tour, comme si la frontière était une barrière physique que l’on devait contourner), pis de cette sensation que j’ai qu’on fait tous les mêmes choses, les gens dans leurs camions pas moins que les touristes de base dans leurs Club Med, finalement, on est des travelers de masse, et que c’est pour ça, je crois, mais je n’en suis pas sûre, que les gens veulent vivre des choses « extrêmes », pour essayer de se sentir différent… Et même en ça, ils ne sont pas les seuls.
À l’Est, finalement, rien de nouveau. (Zéro médaille pour cette conclusion nulle).