Ne pas frapper, ne pas entrer.
Et ouvrir la porte.
Manger le plâtre des murs, fondre dans la science des rêves, se réveiller la tête en vrac, le corps encore chaud des terreurs, des silences et des mystères ; rouler, ramper, sauter, tomber, mourir et renaître ; et puis disparaître avec le vent — cachez vos pendules, vos montres, vos coureurs de temps —, échafauder jour après jour les croyances du présent pour mieux lutter dans l’arène de l’avenir. Tenir au jour le jour le journal de la chute, et trembler de joie quand surgissent les printemps froids.
Un jour, on se réveille dans une Maison, on est Fumeur, Sphinx, Macédonien, Lord, l’Aveugle, Chacal, Vautour, Loup. On est roulant, tombant, sauteur. On vogue à travers le chaos d’une baraque sans âge aux murs taggués, on écrit les lois impossibles que dicte notre imagination d’enfant, ça déborde de folie, d’énigmes, de messages cryptés, on cherche dans les vestiges du passé l’histoire de notre arrivée dans cette forteresse fantastique. On fuit la Mort, les copains à nos côtés, on zig-zag à travers les drames, on sanglote tout seul dans le noir en attendant le soleil, on fait du troc, c’est la guerre des boutons, on s’affronte, c’est la guerre des mondes, on s’unit, c’est la Maison dans laquelle s’écrit un livre-monde, étrange et fabuleux, qu’on a envie de garder en soi toute sa vie pour ne jamais grandir. Vous n’avez rien compris ? C’est normal, il faut lire La Maison dans laquelle.
Bien sûr, il y a l’objet. Trimballer ce pavé est déjà une aventure en soi. Il pèse lourd, il prend de la place, il habite l’espace. Pour finir par lire très lentement les pages parce qu’on y est, on la voit arriver, la fin, et qu’on ne veut pas quitter ce dédale envoûtant, pas encore, il y a encore tellement d’histoires qui n’ont pas été racontées, tellement de questions auxquelles personne n’a répondu, tellement de questions auxquelles, on le sait, personne ne répondra… On n’aura pas le temps de réellement comprendre, d’interpréter toutes ces étranges fables, il faudrait plus de nuits, plus de temps… Nid, Sépulcre, Oiseaux, Logs, Rats, tellement de mots-talismans à collectionner, tellement de songes à décrypter, tellement de sortilèges à invoquer au Royaume des Invalides.
Dans le désordre, roman d’apprentissage, récit initiatique, aventure onirique, portrait d’une peur adolescente et coup de secousse pour l’adulte qu’on finit (presque) tous par devenir un jour : car oui, ce livre nous rappelle que nous aussi nous avons un jour, à l’instar du peuple étrange qui se dévoile au fil des pages, créé notre monde, vous savez, avant, quand on était enfant… et soudain on se souvient que, oui, nous aussi, on a déjà érigé des barrières, on a déjà aimé, on a déjà perdu. Le temps nous a brouillé la mémoire, mais plonger dans la Maison c’est revenir aux sources.
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La Maison dans laquelle
écrit par Mariam Petrosyan
traduit du russe par Raphaëlle Pache (bravo à elle parce que ça devait pas être simple)
édité par Monsieur Toussaint Louverture